Publié par 30 juin 2014 le
La reine est donc nue. Publiquement
déshabillée. Rarement une telle humiliation fut infligée au dirigeant d’un pays. La
scène s’est déroulée le 27 juin dernier à Malabo, lors du sommet de l’Union
africaine. Les chefs d’Etat membres de la Communauté économique des Etats
d’Afrique centrale (CEEAC) – Idriss Déby, Paul Biya, Denis Sassou-Nguesso, Ali
Bongo et Teodoro Obiang – décident de consacrer une partie de leur précieux
agenda à la crise centrafricaine. D’abord invitée à livrer un exposé de la
situation dans son pays, la présidente centrafricaine de transition, Catherine
Samba-Panza, fut priée par ses pairs de quitter la salle de réunion. C’est donc
assise dans un fauteuil, dans un couloir, à la manière d’un élève au piquet, que
Catherine Samba-Panza aura attendu la fin de ces concertations des dirigeants de
la CEEAC sur la situation en cours dans son pays. Les journalistes présents n’en
ont pas cru leurs yeux.
Mais la présidente de la transition
centrafricaine semble avoir survécu à cette humiliante épreuve. En effet, aucune
déclaration de sa part, pour déplorer le traitement qui lui a été ainsi infligé
par les chefs d’Etats de la CEEAC dont certains n’hésitent plus à rappeler
devant les objectifs des caméras qu’ils sont devenus les principaux bailleurs de
fonds d’une Centrafrique qu’ils portent à bout de bras depuis plusieurs mois.
Visiblement excédés par le boulet centrafricain, affichant ouvertement leur
mépris à l’égard de la présidente centrafricaine, ces dirigeants n’ont pas
résisté à faire fi des codes diplomatiques et des usages protocolaires pour, au
fond, souligner ce que l’on savait déjà : pourquoi associer à une réunion
de chefs d’Etat, la représentante d’un Etat inexistant ? L’insolite image
de Catherine Samba-Panza, esseulée dans un couloir à Malabo résume, à elle
seule, la tragédie et l’interminable agonie de la Centrafrique…
Mais alors, quelle aura donc été l’issue de ce huis-clos des dirigeants
de la CEEAC consacré à la situation
centrafricaine ? L’objectif aura été de fixer une
nouvelle « feuille de route » à la présidente Catherine Samba-Panza. Sommée
d’appliquer ces recommandations, la dame de Bangui a donc pris acte, avec une
docilité remarquée, de ces nouvelles recommandations, énoncées à la manière
d’une mise en demeure. Et que lui recommande-t-on ? Quelles sont donc ces
mesures aussi urgentes que lumineuses dont la mise en application devrait mettre
fin au chaos centrafricain ? Principales recommandations : un
remaniement du gouvernement, tenant compte d’une « large
ouverture », notamment à la communauté
musulmane du Nord de la Centrafrique. Autre « souhait » émis par ces parrains et syndics de faillite de la
Centrafrique : l’organisation d’un « dialogue
inclusif » entre tous les Centrafricains, y
compris les ex-Seleka et les anti-balakas. La date de cette réunion qui devrait
se tenir à Brazzaville n’est pas encore fixée… Premier commentaire d’un
observateur présent à Malabo : « Tout ça pour
ça ?… »
Cependant, au-delà l’apparente vacuité de cette « feuille de
route » et, aussi, de son caractère injonctif, deux remarques
s’imposent. En incitant l’exécutif transitoire centrafricain à mettre en place
un gouvernement fondé sur des motifs confessionnels, les chefs d’Etat de la
CEEAC ont-ils pris la mesure des conséquences d’une telle
« recette » ? Alors même que l’on n’a cessé de souligner que les
affrontements intercommunautaires n’étaient qu’une des manifestations, et non
pas la source de la tragédie centrafricaine, une telle mesure, si elle venait à
être appliquée, consacrerait définitivement « l’essence » religieuse
de la crise en cours. Une manière, en somme, de travestir un peu plus la
réalité, et donc, de différer la résolution d’une crise fondamentalement
politique. Cette recette qui consiste à associer tous les protagonistes d’un
conflit, au sein de gouvernements dits « d’union nationale », ou
« d’ouverture » n’est pas nouvelle. Pire, elle s’apparente, depuis quelques
années, à une méthode automatique et répétitive, sans cesse proposée, et
toujours vouée aux pires issues.
Par ailleurs, à propos de la tenue annoncée d’un
« dialogue inclusif entre tous les
Centrafricains », cette question, irrésistible :
a-t-on jamais vu la tenue d’un dialogue « exclusif » ? Plus
sérieusement, que peut-on attendre d’un énième dialogue « inclusif »
qui, comme chacun le sait déjà, ne servira, une fois encore, qu’à prolonger, un
peu plus, les thérapies aléatoires et capricieuses qu’on assène à la
Centrafrique ? Un dialogue qui réunirait, dit-on, les ex-Seleka et les
anti-balakas… et tous les autres… En somme, une gigantesque foire où se
côtoieraient des Centrafricains de bonne volonté et la noria d’assassins et
autres coupe-jarrets assurés de leur impunité, à la faveur de ce rituel
faussement réconciliateur… Que peut-on attendre de ces groupes devenus, au fil
des mois, de véritables organisations criminelles, inaptes à énoncer les
contours d’un projet politique, auto-exclus de l’espace politique ordinaire,
prédateurs en quête d’un pouvoir sans responsabilité, dans le seul but de
prolonger, avec une inquiétante jubilation, leur danse de fin du monde sur la
dépouille d’un pays ?… On achève bien la Centrafrique… Dans la perspective
du « dialogue inclusif », les anti-balakas ont commencé à envoyer des
signaux, attestant de leur « unité », leur volonté de « participer à la vie
politique », leur « désir de réconciliation avec les
musulmans ». Le porte-parole des
anti-balakas, le bien nommé Emotion Brice Namsio, se souvient, soudain :
« Notre pays
est un pays laïque. Les musulmans et les chrétiens vivaient depuis longtemps
ensemble, dans la symbiose. Nous avons intérêt à ramener la
paix ». Sinistre galéjade…
Les chefs d’Etat des pays membres de la CEEAC peuvent-ils croire,
eux-mêmes, en la pertinence de la « feuille de route » produite à
Malabo ?
On n’ose le penser, sauf à admettre que ces dirigeants sont collectivement mus
par un incommensurable cynisme ou un goût immodéré pour l’ordonnancement du
désastre. A moins que cette feuille de route, par-delà sa confondante légèreté,
ne soit que le cache-sexe d’un agenda non encore révélé. Probablement, un agenda
« non inclusif », excluant les Centrafricains de toute décision
concernant ce qui reste de leur pays.
Francis Laloupo,
Journaliste, éditorialiste et enseignant en
géopolitique.
(francislaloupo.wordpress.com)